Cette fois, il en était sûr, il venait de signer un pacte avec le diable.

Il s’était juré de ne jamais se laisser tenter mais, l’argent étant l’argent, et ayant un instinct de survie rivé sur les pièces d’or, Roadhog se laissa entraîner par le sale gosse qui trottait à présent à ses côtés.

Dire que tout allait bien jusqu’au moment où il avait décidé d’aller dans ce foutu bar. Il allait se maudire pour ses décisions, une fois de plus, pour les prochaines années à suivre.
Il avait sa baraque en dehors de Junkertown. Il avait de quoi se nourrir, de quoi boire, de quoi vivre seul en ermite, tel qu’il le méritait. Il avait juste assez pour lui tout seul, toutes ses rations lui suffisaient. Il ne pouvait pas se permettre d’inviter une personne dans sa demeure- et encore moins un ignoble gamin qui ne méritait aucune reconnaissance.

Roadhog avait, en une seule soirée, ruiné ses potentiels liens avec la Reine. Elle ne le supportait déjà pas, mais là… Là. Là il avait tout foutu en l’air. Tabasser ses hommes de main comme ça, tout ça pour un rat qui ment à tout le monde- Un rat qui lui doit à présent une délicieuse portion de son butin.

C’est tout ce qui comptait. L’argent. Le gain. La bonne oseille.

Une fois que les deux hommes s’approchèrent de la sortie de Junkertown, en tout honnête indiscretion, Roadhog se tourna vers Junkrat avec un grognement, les ombres des portes de la ville en fond du soleil couchant se reflétant dans les verres de son masque.

“T’as une sacrée chance que j’étais dans ce bar. Si j’avais pas été là, ils t’auraient crevé comme un rat.”

Puis, il eut un rire. Secouant la tête, il se dirigea vers les portes.

"Allez, magne-toi le fion avant que les autres crevards de Sa Majesté nous courent après." 

Il passa un coup d’œil rapide dans ce hangar fermier transformé en modeste maison de l’outback. Le jeune homme ne put s’empêcher de remarquer une petite peluche tirée d’un jeu vidéo auquel il jouait, quand l’Australie n’était pas un territoire irradié par l’Omnium jusqu’à la moelle. Comment ça s’appelait déjà.. ? Pachimachin ? Bref, une petite peluche à côté de ce qu’il imaginait être le lit. Un dispositif posé à côté d’une montagne de bonbonnes de gaz vides, une carte du monde disposée à même le mur, une table de fortune au milieu de la pièce, un atelier de bricolage fait avec les moyens du bord, voilà en bref ce qui constituait ce qui allait devenir son nouveau chez lui. Charmant…

« Allez,bouge-toi. »

Junkrat ne se fit pas prier. Loin de lui l’idée de craindre un retour des larbins de la Reine, il avait plus peur de l’énorme masse de graisse et de muscles qui l’avait tout juste sauvé quelques instants auparavant. L’aisance avec laquelle il avait réussi à les débarrasser de ces sales lécheurs de pompes l’impressionnait bien assez. Il valait mieux pas trop lui chercher des noises, à celui-là.

« Eh ben, c’est pas très richement décoré ici dis donc. Ça te tuerai de passer le balai ? C’est une vraie por- »

Il se souvint du masque de ce type, en forme de cochon. Faire référence à une porcherie face à quelqu’un qui se trimbale une face de porc sur le visage n’est pas la meilleure idée, surtout quand ce quelqu’un fait une tête de plus et plusieurs centaines de kilos de plus que toi.

Il n’avait pas vraiment prévu la suite des choses après avoir été secouru par son nouveau compagnon d’infortune. Son appel à l’aide maladroit était, après tout, parti sous les menaces d’un bowie. Jusqu’à présent il avait toujours fait son affaire dans son coin. Et ça lui allait très bien. Mais il pourrait s’avérer utile, après tout. Deux têtes valent mieux qu’une, et le bonhomme pourrait l’aider à causer quelques casses au-delà de ce pays brisé. Il remarqua une roue dans un recoin de la pièce. En s’approchant, il vit que cette roue était en fait une énorme moto à longue fourche, une chopper.

« Bien belle bécane ! Tu sais conduire la moto, mon grand ? »

Pas de réponse du colosse, qui préféra s’installer à sa table silencieusement.

« Pas très bavard en plus hein ? On s’est même pas présenté d’ailleurs ! On t’appelle comment, mate ? »

"Non, j’sais pas conduire. C’est pour faire joli." grogna-t-il en levant les yeux au ciel "Evidemment que je la conduis. Bon sang, mais... "

Il soupira et regarda le sale gosse depuis la table. Il s’assit là, à le regarder fouiller chez lui. Ce malpoli. Il avait envie de lui demander si sa mère l’avait élevé comme ça- Mais il se rappela qu’en fait, c’était fort possible. Si ça se trouve, il avait connu la mère de ce gamin. Si ça se trouve, elle avait son âge… Si elle n’était pas déjà morte.

Bah. Qu’en avait-il à faire de l’histoire de ce sale gosse? Tragique ou non, il n’en avait rien à faire. Il avait des choses plus importantes à l’esprit…
Comme récupérer le pognon de son nouveau fardeau et le laisser au dépourvu. C’est ça le plan.

"On t’appelle comment, mate?."

Grinçant des dents sous son masque, Roadhog resta silencieux. Ce petit rat se comportait comme si de rien n’était, comme s’il ne venait pas de le sauver. Comme si ce petit sauvetage lui était entièrement dû… Et il venait lui demander son nom en plus. Bordel.

Abattant une main sur la table, le plus imposant des deux hommes grogna et se tourna vers Junkrat, montrant une chaise rouillée sur laquelle il pouvait s’asseoir.

"J’suis étonné qu’on t’ait déjà pas parlé de moi, gamin." grogna-t-il une fois de plus en appuyant son coude sur la table. "... Tant mieux."
 

« Tant mieux » ?
Ça voulait dire quoi ça ? Méfiant, le jeune australien vint s’asseoir à la table de son hôte. Sans visage pour déterminer son expression au moment où il avait prononcé ces mots, Junkrat n’arrivait pas à discerner si les paroles de son interlocuteur masqué étaient tintées de mépris, menace ou juste d’amusement. Et ne pas discerner les choses, ça il n’aimait pas. Sous la table, mine de rien, il préféra glisser un doigt sur une de ses petites bombes.

Juste au cas où.

Il n’était pas particulièrement enclin à se battre avec l’homme qui, même si menaçant, lui avait sauvé la vie. Mais si sa vie dans l’outback irradié lui avait appris un truc, c’était de se montrer méfiant au moindre signe, mais l’air de rien. Et la deuxième chose, c’était de toujours tirer le premier.

Il réfléchit à comment ne pas paraître ni suspect ni agressif. Au-delà d’éviter de provoquer le colosse, Junkrat n’était pas un mauvais bougre, au fond. Bon ok, il avait pillé, blessé voire même tué plus d’une fois et sans remords, mais c’est l’outback, ça compte pas. Assis sur ce tas de ferraille qui servait de chaise, les mains sous la table avec une bombe miniature dans le creux de sa paume droite, il eut un petit moment de réflexion, à scruter l’attitude de son interlocuteur. Une chose était sûre, même si il n’était pas bavard, rester silencieux ne ferait qu’augmenter la tension.

« J’me rappelle pas de ta trogne quand j’étais à Junkertown, et j’écoute pas les rumeurs…Donc j’ai pas souvenir qu’on m’ait parlé de toi, nan ! T’es une sorte de légende urbaine ? »
Il s’aventura à tapoter le bras musclé de l’homme en glissant une boutade :
« Avec une carrure pareille ça m’étonnerait pas ! »

"T'es une sorte de légende urbaine?"

A ces mots, Roadhog ne pût s'empecher de laisser échapper un rire étouffé avant de tousser comme un cancéreux, tapant du poing sur la table avant de reprendre ses esprits et de répondre;

"Tu m'fais rire, sale gosse."
Une légende. Rien que ça.

Il était beaucoup plus que ça.

Mais, connaissant les bruits de rues de Junkertown, être qualifié de légende était plus qu'amusant...
Bah. Ça lui rappelait le bon vieux temps, quand il était encore au FLA.
Mako Rutledge, l'homme au traquelard. Le porc sans vergogne. L'homme qui n'était plus un homme. Une terreur. Un cauchemar. Un monstre.

Levant son visage- ou plutôt la face porcine qui lui en servait- vers l'insupportable gamin qui lui tenait à présent compagnie, Roadhog hocha la tête.

"On va faire simple. Je sais qu'on en raconte des vertes et des pas mûres à mon sujet. Je dirais pas que je suis une légende, nan. Juste un type que la Reine aimerait bien voir dégager." dit-il en attrapant une bouteille de bière vide, la secouant un peu avant de la balancer par dessus son épaule.

"Et bien qu'elle fasse ses manigances de petite garce, je suis pas près de me tirer.”