Overwatch a répandu la vengeance dans une traînée de poudre. Derrière les affiches colorées, les discours d’émotion se dissimulent les pertes qui n’ont jamais été pansées. Illégitimes. Plaies oubliées par une histoire sélective et affairée à maintenir sa cohérence duale, à entretenir l’existence du bien et du mal. Ceux qui s’estiment lésés par les héros d’un temps ne peuvent le revendiquer face à des mémoires sourdes. C’est ce que les nations unies commandaient à Morrison : un visage d’ange pour l’organisation placée sous sa responsabilité. C’est ainsi que le rôle du commandant lui fut attribué à lui et à ses valeurs exacerbées, à lui et au sourire éclatant de ses jeunes années. Il affichait bien et savait organiser les individualités autour d’un enjeu commun. Ordonner un groupe pour le rendre vecteur de cohésion, d’un sentiment d’appartenance à la cause qui pourrait unir le monde. Il était le parfait prototype publicitaire sans s’en rendre compte. Là où Reyes fut attaché aux ombres situées à l’abri des regards. Gabriel était trop rude avec ce visage strié de balafres. Infiniment moins versé dans le politiquement accepté avec ce sarcasme qui suintait continuellement entre ses mots. Moins docile et plus affuté que Jack ne l’était.
Morrison tarda à en prendre conscience. Il ne comprenait pas l’effervescence des manifestations à l’encontre d’Overwatch, furieux lorsqu’il apercevait une pancarte frappée du slogan « nous ne voulons plus être surveillés ». C’était inscrit dans ses veines et l’alimentait chaque jour, la force de la certitude le faisait tenir droit sur le front : ils œuvraient pour le Bien indiscutable. Ils donnaient leurs vies pour alimenter une cause plus grande qu’eux. Il ne voyait dans les réticences grimpantes des populations que de l’indolence et de l’ingratitude. Sa fonction de commandant le rendait personnellement responsable de chaque perte et face à la grogne populaire il grinçait que ces vies héroïques et sacrifiées étaient injustement malmenées.
Ce qu’il nommait vérité n’en était qu’un fragment qu’il se récitait et qu’il professait religieusement. Derrière le désaveu se trouve souvent la douleur. Ce fut le cas concernant un groupuscule retranché en Australie et furieusement opposé à Overwatch. Leur leader était un ancien agent qui, dans son rôle de sauveur, avait perdu le reste de sa vie. Blessé grièvement durant une bataille il avait été laissé derrière sous l’ordre de Morrison. La situation était critique et ses partenaires piégés entre plusieurs feux auraient été, selon l’expertise du commandant, condamnés s’ils avaient tenté de récupérer leur caporal à terre. Jack eut longtemps l’écho de sa propre voix en tête, se souvenant avoir signé la mort d’un homme en vauciférant un ordre glacé. Mais ce cas n’était pour autant pas isolé. Ils étaient des soldats. Morrison déplore mais ne regrette pas.
Ce groupe terroriste a fondé au fil des années une armée de professionnels engagés à servir la tête d’Overwatch sur un plateau. Il comptait d’anciens braves désavoués et des criminels de passage animés par l’appât du coup magistral à porter. Evidemment l’information fut muselée sur la scène publique. Mais encore en activité, Jack avait commencé à remonter la piste. Scrupuleusement un suspect après l’autre il avait dessiné une arborescence de liens.
Lorsque sa propre mort survint en même temps que celle d’Overwatch elle laissa dans les cendres un travail inachevé. Pour autant les activités criminelles ne cessèrent pas. Enfiévrés par un goût de victoire partielle ils entreprirent de traquer les ex-agents situés à proximité de leur zone d’opération avant de concentrer leurs actions sur divers trafics de stupéfiants.
Désormais mort et ressuscité dans la peau de 76, le soldat s’était infiltré dans d’anciens locaux d’Overwatch à dessein d’y récupérer de l’armement. Piqué par un sens du devoir qu’il pensait pourtant éteint il avait alors entrepris de visiter ses vieux dossiers. Pour se rendre compte que beaucoup étaient manquants – particulièrement les plus récents. Après vérification seuls les siens étaient absents comme si quelqu’un était à la recherche de ses derniers instants.
L’identité de cette personne s’installa dans son esprit comme une évidence. Fareeha. Cette gamine n’avait jamais cessé d’essayer de comprendre la perte de sa mère et avait toujours rivalisé d’intelligence alors pourtant que le soldat ne lui accordait aucune information susceptible de l’exposer. Elle était si perspicace. Et peut-être plus têtue encore qu’il ne l’était lui-même.
Jack était présent le jour où Ana fut perdue et il s’était ensuite lancé à corps perdu, dévoré par une rage coupable, vers une vengeance enfiévrée qu’il se garda de partager. Une tentative de deuil malade qu’il ne voulait pas transmettre. Sa croix. Face à Fareeha il souhait incarner la tempérance et lui proposer une épaule à laquelle s’appuyer. Peut-être aurait-il dû lui en dire davantage pour ne pas la pousser à apprendre d’elle-même. Il voulait préserver son innocence encore un peu plus. Ne pas lui avouer que sa mère était tombée de la main d’une amie. Le fait d’observer, drapé dans l’anonymat, la frêle carrure de la jeune Fareeha se muer en l’armure puissante de Pharah lui fit éprouver une inquiétude nouvelle. Ana l’aurait-elle pardonné de laisser sa fille porter les armes ?
Helix Security n’est pas difficile à suivre. Cette organisation privée agit selon des patterns très lisibles et réside principalement au Temple d’Anubis où une menace majeure fut coûteusement contenue. 76 y jette un œil fréquent. Directement ou par l’intermédiaire d’informateurs grassement récompensés. Et lorsqu’il apprend qu’une escouade s’apprête à rejoindre l’Australie son sang ne fait qu’un tour. Il lui apparait comme une évidence que Fareeha sera de la partie.
Le risque est trop fort et en l’espace de quelques jours il est sur place. Il précède même la délégation d’Helix security et dresse un campement de fortune à la périphérie des locaux. Sa quête de réponses oubliée, reléguée au secondaire. Il se mêle à l’environnement sans laisser de traces tangibles et expérimente durant plusieurs jours le soulagement de voir que cette presque fille reste cantonnée à la base, encadrée de ses pairs. 76 déchante pourtant rapidement lorsqu’il surprend un soir Fareeha en train de réquisitionner un véhicule pour fuser vers une zone de danger qu’il ne connaît que trop bien. En alerte il emboîte aussitôt ses pas. Il voudrait se manifester auprès d’elle pour la dissuader tant qu’il en est encore temps. Mais le possible d’être découvert est trop lourd – serait-elle furieuse, d’autant plus confortée dans l’idée de faire justice seule ? La décevoir aujourd’hui est trop risqué. Peut-être est-il simplement lâche.
Il attend à l’extérieur des locaux dévorés par la végétation dans l’idée de couvrir ses arrières. Qu’elle ne soit pas prise en tenaille. Mais personne en approche. Le soldat est rongé d’une inquiétude qui lui vole des jurons à intervalles réguliers. Cela n’a rien de comparable avec une mission ordinaire. Son corps est si tendu qu’il doit le retenir à chaque instant de ne pas tonitruer à l’intérieur de la bâtisse pour en extraire la jeune fille. Il tourne comme un lion en cage. Trois minutes passent avant que cela ne devienne insoutenable. Trois minutes c’est bien suffisant pour perdre une vie.
Lorsque 76 pénètre à l’intérieur du bâtiment des détonations lui vrillent les tympans en s’encastrant contre le mur à sa gauche. Fareeha. L’adrénaline s’empare de lui et il fonce l’arme au poing en direction de l’épicentre des tirs. Le spectacle qui s’offre à lui le charge d’une fureur froide. Au sol, la jeune femme est inconsciente. Ou pire – mais le pire ne parvient pas à être traité par son esprit. C’est impossible. Sa réaction se fait en une seconde : prenant appui d’un pied sur le rebord du bureau le soldat se jette sur l’assaillant et le plaque violemment au sol. De la crosse de son fusil à impulsion il assène trois coups dans le crâne de l’adversaire. Sans ménagement. Le visage brouillé de sang le corps adverse retombe dans un râle guttural. Mais 76 n’a pas le temps de souffler : La baie vitrée à l’étage se brise sous une rafale de tirs et un homme armé d’une mitraillette de fortune émerge de la sortie opposée. Le soldat se projette de côté vers une Fareeha inerte, faisant barrage à ces feux croisés. D’une poigne dure il la tire jusqu’au bureau afin de leur obtenir un semblant de couverture et appose deux doigts à la surface de sa jugulaire. Il a un pouls. Le soulagement est d’une intensité inouïe. 76 constate alors qu’il retenait son souffle. Il s’assène une claque mentale pour se reconcentrer. Il n’a pas le choix. Après un dernier regard à Fareeha sa main droite vient activer la visière tactique qui s’ouvre devant ses yeux. Le soldat se redresse pour pouvoir placer les opposants dans sa ligne de mire. Il vise une première arme qui explose dans les mains du porteur se trouvant expulsé contre le mur par le recul. Cible 1 : pacifiée. Mais le deuxièmement homme bénéficie de son attention momentanément placée ailleurs. Les balles se croisent. L’un est touché à la tête et l’autre à l’épaule.
76 retient un râle en mordant sur ses dents – la douleur est aigue, assez pour le désarçonner une seconde. Sa vue se trouble légèrement et il doit prendre appui à la surface du bureau. Ses doigts se crispent spasmodiquement sous ses gants tandis qu’il entreprend de rétablir son souffle, les yeux violemment clos. Il a encore du boulot à faire.
L’homme au blouson de cuir charge Fareeha sur son épaule valide et la transporte jusqu’à l’extérieur. L’esprit légèrement hagard il se fait la remarque que la dernière fois la gamine était sensiblement plus petite. La dernière fois où elle avait fait l’avion sur ses épaules, comme elle aimait à le faire avec sa mère.
Le vieux soldat dépose précautionneusement la jeune femme au sol en l’adossant contre un mur. Il s’agenouille face à elle et observe l’état de ses blessures. Sa voix est rauque, hachée et traversée d’une appréhension indéniable. « Fareeha. Fareeha… Tu m’entends ? Il est temps de revenir à toi.»
Dernière édition par Soldier : 76 le Jeu 13 Juil - 5:14, édité 2 fois
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Qui êtes-vous ?
Jack & Pharah
25.06.2017
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Jeu 13 Juil - 5:06
Qui êtes-vous ?
Fareeha & Soldat 76
La nuit glace la carcasse éventrée de l’entrepôt tandis que le silence écrase le soldat. L’endroit est éteint et la scène qui s’y joue se perd dans le noir indifférent. La mort est maîtresse et son odeur embrume l’homme à la veste de cuir, trop connue, anticipée. Mémorisée dans ses chairs. Elle pourrait jaillir du moindre instant d’inattention. Ce n’est pas la première fois que quelqu’un tombe en étant sous la responsabilité de Morrison. Mais aujourd’hui le monde lui apparaît en suspens comme si la vie entière avait déraillé. Que l’Inacceptable le menaçait. Il enserre les épaules de Pharah de sa poigne en défiant le trépas de venir la lui arracher.
Genou à terre il observe Fareeha dans une analyse crue. Le visage frappé derrière la visière. 76 ne s’est plus exposé depuis de longues années. Tandis qu’il détaille l’adulte face à lui le souvenir de l’enfant s’y superpose. Il imagine la gamine lutter sans repères dans le noir, il ne peut lui allumer une bougie décente. Ne peut se contenter de lui promettre sa présence au réveil. La colère est principalement chargée contre lui-même. En appelant à son professionnalisme il vérifie ses constantes et soulève son menton bleui de l’index pour la rappeler parmi les vivants. Sa main forte encadre désormais son visage. L’autre épouse les contours de l’arrière de son crâne. Il tâte la blessure avec autant de retenue que possible.
Il finit par obtenir une réponse. Les paupières de la jeune fille papillonnent faiblement sur son regard gorgé de brumes et le soldat passe une main gantée devant ses yeux frémissants, mesurant ses réflexes. Pupilles non réactives. Absentes. Le résultat ne lui plaît pas et il grince un juron entre ses lèvres. La commotion a l’air sévère. S’il ne réagit pas tout de suite elle risque des complications. Il doit la conduire à l’hôpital militaire situé à quelques kilomètres de leur position. Si le soldat envisage de la charger à nouveau sur son épaule sans lui servir de présentations il s’abstient finalement. Se débattre pour quitter l’emprise d’un inconnu pourrait lui arracher ses dernières ressources. 76 fulmine intérieurement puisque c’est ainsi que son inquiétude sait se manifester. Alors qu’il ignorait jusqu’ici ses questions, ancré dans l’action à accomplir, il comprend qu’il ne pourra pas y échapper davantage. Sortant avec rudesse une gourde d’eau de sa poche intérieure il verse d’un ton factuel. « Je suis qu'un soldat. » Inutile d’en divulguer davantage puisque son identité se résume désormais à cette fonction. Qu’il ne compte pas prétendre à plus. « Pas l’un d’eux. Je ne vais rien te faire. » Monolithique il tâtonne de sa voix pourtant stable. Piqué par son propre manque de moyens il s’adoucit progressivement et tente d’instituer entre eux un dialogue qui pourrait la garder éveillée. Coule entre ses mots une bienveillance rouillée. 76 conduit lentement la gourde jusqu’aux lèvres asséchées de la jeune femme. Impérieux sans réellement le vouloir. « Helix Security hein ? Equipement reconnaissable. » Se justifie-t-il aussitôt en tranchant sans laisser aux idées le temps de germer, de s’étendre. « Vous devez bien avoir un système pour communiquer dans ce type de situations ? Vaudrait mieux qu’il soit fonctionnel. » Il alimente un fond sonore pour l'empêcher de laisser sa conscience décliner davantage qu'il n'attend une réponse tangible.
La chaleur traverse une seconde son crâne et brûle ses yeux. Son regard tressaute et sa main hagarde vient vigoureusement chercher le mur à quelques centimètres de l’épaule de Fareeha. La sueur perle le long de son front et embue sa réactivité. Il la surplombe et tâche alors d’apprivoiser son souffle erratique. Cette foutue balle est logée à un endroit inconfortable. Il devra l’extraire une fois la gamine en sécurité. Dans un réflexe de douceur, qui se veut rassurant, il dépose au sommet de sa tête une main chaude. Pour signifier un "c'est bon" tacite.
Alors que le soldat s’apprête à s’essayer à une nouvelle phrase, respiration stabilisée, deux lumières criardes se découpent à l’horizon. Ovales. Visiblement effilées par la vitesse. Symétriques. Des phares. « Bon sang. » Sa réaction n’attend pas une seconde et il empoigne Fareeha sous les bras pour l’accompagner contre lui. « Tu vas pas avoir le choix de me faire confiance. On a de la visite. » Aussitôt prévenue il la soulève d’une main dans le dos, d’une autre sous ses jambes. Le soldat étouffe une plainte entre ses dents crispées et fuse le dos courbé jusqu’au conteneur salutaire à sa gauche. Là il l’adosse une nouvelle fois, à l’intérieur du compartiment délavé. Il se poste à l’encadrement métallique la main au fusil. Les sens en ébullition.